Tracking Transience, 2003
Pour reprendre le concept d'autorité des images dont parlait Hito Steyerl, une partie de ce flux d’images dont nous sommes entourés est constituée par des images générées par des appareils de surveillance.
Le numérique a également impacté nos modes de communication. Nous possédons désormais des pluralités d’identités virtuelles. Elles sont définies par des données et informations que nous leur apportons, ou bien par celles que les réseaux possèdent déjà de nous. Par le biais de nos profils en ligne, nous laissons profusion d’indices, et ouvrons nos intimités aux autres utilisateur·ices.

Mais pouvons-nous contourner ces systèmes d'auto-surveillances que nous mettons en place ?
​​En 2002, le nom de l'artiste américain Hasan Elahi a été ajouté à la liste de surveillance du gouvernement américain. Celui-ci a été intercepté à l’aéroport de Détroit le 19 juin 2002 par un agent du FBI, qui a commencé à le questionner sur ce qu’il faisait pendant la période des attentats du 11 septembre. Il a dû donner des informations sur son emploi du temps, où se trouvait-il tels jours, à telle heure…
Il a passé au total 8 interrogatoires sous détecteur de mensonges, envoyant énormément d’informations à différents bureaux de service du FBI. Il va par la suite contacter régulièrement de sa propre initiative les agents pour les tenir informés de ses déplacements avec précision : les trajets et numéros de vols de ces voyages en avion, des relevés bancaires de ce qu’il a acheté, des photographies des lieux où il se rend… Pour se faciliter la tâche, il crée une application de tracking reliée à son téléphone portable qui indique sa position, avec des coordonnées GPS et des photographies.
Ce qui était à la base un moyen de protection face à des accusations mensongères qui mettent sa vie en péril, deviendra en 2003 un projet artistique, alimenté chaque jour sur le site depuis.
On pourrait se demander pourquoi l’artiste livre autant d’informations personnelles accessibles par n’importe qui. Ces images d’aéroports, de magasins, de repas pourraient être prises par n’importe qui, leur banalité les rend presque anonymes. Ce projet constitue des tonnes d’informations disparates et qui, si elles ne sont pas reliées entre elles, ne sont pas complètement lisibles.

En livrant toutes ces données publiquement, Hasan Elahi se livre à nous, tout en créant une barrière de bruits, d’images non compréhensibles directement, à moins de soi-même recouper les données comme a pu le faire le FBI. Finalement, toutes ces informations ne nous disent pas grand-chose de qui est l’artiste dans son intimité. Malgré toutes ces photographies qui retracent ses allées et venues, nous ne savons pas grand-chose de lui.
Pour Hasan Elahi, dans une ère où toutes nos informations sont classées et stockées dans des bases de données, ce n’est plus très utile de protéger sa vie privée en tentant de les supprimer. Lorsque ces informations sont exposées, il faut en prendre le contrôle. L’information et l’accès limité à l’information font partie du système économique de la surveillance. La valeur de l’information réside dans le fait qu’elle soit inaccessible aux autres.
En partageant ces données de déplacement à travers ce projet, il retire cette valeur aux informations que possède le FBI. Symboliquement, il court-circuite l’économie de la surveillance, à son échelle individuelle.

Lorsqu’il a commencé à entreprendre cette autosurveillance, les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram n’existaient pas encore. Maintenant, cette idée de partage spontané (conscient ou non) d’informations personnelles sur des plateformes publiques est devenue quelque chose de très commun. On peut alors se demander si donner un accès public des lieux où nous nous rendons est toujours un moyen efficace pour déjouer les systèmes de surveillance.