Cette possibilité qu’offre le numérique de fabriquer de nouveaux mondes à partir de glanage d’images, de symboles empruntés à la mythologie, la culture populaire, permet aussi à des artistes, notamment les artistes afrofuturistes de trouver de nouveaux moyens de remettre en avant des histoires, des cultures qui ont été effacées par la domination (dans le monde réel ou virtuel) du discours occidental, et de ses récits. La possibilité, par le collage, la vidéo, les modélisations en 3D, de créer des récits spéculatifs offre aux artistes de nouvelles manières d’agir dans des pratiques féministes et décoloniales.
Le mouvement afrofuturiste n’a pas débuté avec l’arrivée du numérique. Le terme afrofuturisme a été employé pour la première fois par l’universitaire américain Mark Dery en 1994 dans l’article Black to the Futur. L’auteur utilise le mot afrofuturisme pour décrire des fictions qui méditent sur les thèmes et les problèmes des afro-américains dans le contexte d’une technologie futuriste. Il donne un nom à des récits qui existaient déjà à l’époque. On peut citer le compositeur et musicien de Sun Ra, la romancière Octavia E. Butler, et le critique et romancier Samuel R. Delany, considérés comme des précurseurs du mouvement afrofuturiste.
L'afrofuturisme est
« Un moyen de contestation par la création de futurs optimistes s’inspirant des histoires de la diaspora africaine. »
selon l’écrivain et théoricien anglo-ghanéen Kodwo Eshun en 2003 dans un article intitulé Further Considerations on Afrofuturism.
Dans cet article, Kodwo Eshun explique que le pouvoir des peuples dominants se perpétue par le contrôle des archives historiques mais aussi par le contrôle de la production de futurs. Il invite le peuple de la diaspora africaine à écrire une contre mémoire, à réécrire l’histoire, de leur point de vue.
Mais il n’existe pas de définition fixe et ancrée, l’afrofuturisme est un mouvement artistique qui évolue depuis les années 1950, et dont les acteur·ices discutent et repensent les principes en permanence. C’est par exemple le cas de l’artiste pluridisciplinaire Josèfa Ntjam, qui s'inscrit dans les pratiques de la performance, l’écriture, la sculpture, le photomontage, le cinéma et le son.
“J’en ai beaucoup discuté avec Mawena Yehouessi et nous avons décidé qu’il fallait expérimenter l’afrofuturisme plutôt que d’en donner une définition précise. C’est impossible d’en donner une définition parce qu’il y a trop de ramifications. L’afrofuturisme pour moi, c’est le collage, le sample et l’augmentation.”
Josèfa Ntjam utilise les images numériques dans le but de retracer, donner une parole à des histoires oubliées. Elle souhaite déconstruire les grands récits des discours hégémoniques sur les origines du genre et de la race. Son travail tisse de multiples récits issus d'enquêtes sur des événements historiques, des fonctions scientifiques et des concepts philosophiques, auxquels elle confronte des références à la mythologie africaine, aux rituels ancestraux, au symbolisme religieux et à la science-fiction. L’artiste fait appel à plusieurs symboles récurrents : l’esthétique aquatique, la “shell” (coquille), l’ouroboros (serpent qui se mord la queue), son personnage fictif récurrent. La narration est le point de départ de ses projets, et elle l’utilise souvent dans la forme orale. Sa voix nous guide à l’intérieur des mondes qu’elle crée.
“J’aime jouer avec la potentialité des mondes. Que peut-on créer à partir de choses que l’on connaît ?”
Mawena Yehouessi, Poïéthiques afrofuturistes. –– Curation, collage, indiscipline/alternatives
Tabita Rézaire